En 2024, la médiation occupe une place de plus en plus reconnue dans la résolution des conflits, proposant une alternative efficace aux procédures judiciaires traditionnelles. Son adoption progressive témoigne de son efficacité dans la résolution constructive des différends et dans la promotion d’une culture de paix[1].

Louise Lauwers, Médiatrice locale à la commune d’Anderlecht

Michèle Guillaume-Hofnung définit la médiation comme « Un processus de communication éthique reposant sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées, dans lequel un tiers impartial, neutre, indépendant, sans pouvoir, avec la seule autorité que lui reconnaissent ces personnes, favorise par des entretiens confidentiels l’établissement ou le rétablissement du lien, la prévention ou le règlement de la situation en cause [2]».

À ce titre, la médiation s’inscrit parmi les modes alternatifs de règlement des conflits (M.A.R.C.), au même titre que l’arbitrage, la tierce décision obligatoire, la conciliation et le droit collaboratif. Elle propose ainsi une alternative aux procédures judiciaires souvent longues, coûteuses et ardues. Ce texte vise à explorer en profondeur la nature, les principes et les avantages de la médiation, ainsi que son rôle potentiellement accru dans la résolution des conflits interpersonnels.

Au sein du service de prévention de la  , nous constatons l’importance croissante de ce processus dans la gestion des tensions interpersonnelles et des litiges communautaires. Nous disposons d’une équipe de trois médiateurs à temps partiel afin de mener à bien les situations de médiation qui nous sont présentées. Le fait d’être à trois nous donne aussi la possibilité d’échanger sur les cas complexes, ce qui favorise une réflexion riche et constructive. Nous bénéficions également de la collaboration avec le réseau des services publics de médiation de conflits interpersonnels de la Région de Bruxelles Capitale dont nous faisons partie avec qui nous nous réunissons avec d’autres médiateurs de la Région pour échanger des conseils et des bonnes pratiques. Cette collaboration renforce notre capacité à fournir un service de médiation efficace et de qualité à notre communauté locale.

Liberté, confidentialité et autonomie des parties

La médiation est un processus volontaire. En effet, les parties souhaitant s’y engager le font de manière totalement libre. Ceci est indispensable pour entrer en médiation comme pour y rester, ce qui signifie qu’à tout moment, une partie peut décider, de manière unilatérale, de quitter la médiation sans que rien ne puisse être retenu contre elle.

La notion de confidentialité est centrale également dans la médiation. Rien de ce qui est appris en médiation, sauf autorisation expresse de son auteur, ne peut sortir de ce cadre. À cet égard, il est intéressant de noter que, en tant que médiateurs locaux, nous recevons souvent la demande de rédiger une attestation précisant que l’autre a refusé ou n’a pas joué le jeu de la médiation. Nous ne pouvons transmettre un tel document, si ce n’est une attestation faite aux différentes parties et signalant que la médiation n’a pas abouti.

La médiation est un processus relevant d’une méthodologie spécifique à l’issue de laquelle les parties trouvent ensemble une solution au conflit qui les divise. Cette solution peut être rédigée sous forme d’accord durable par les parties elles-mêmes, ou avec l’aide du médiateur. Seules les parties seront amenées à signer cet accord s’il est rédigé.

Médiation et homologation des accords

En théorie, l’accord de médiation qui est trouvé à l’issue d’une médiation menée par un médiateur peut faire ou non l’objet d’une homologation. En effet, une des parties ou toutes les parties ensemble peuvent demander par requête l’homologation de l’accord par le juge compétent. Dès lors, l’accord aura la même force qu’un jugement qui aurait été pris dans un cadre judiciaire et sera opposable aux tiers. Dans le cas des médiations locales, cette homologation est moins évidente car les médiateurs locaux n’agissent pas forcément en tant que médiateurs agréés. L’homologation des accords convenus à l’occasion des médiations locales dépend du médiateur et de la commune de laquelle il dépend. A Anderlecht, les accords trouvés en médiation ne sont pas homologables au sens strict du terme, mais sont une base sur laquelle le juge peut choisir de statuer, étant donné le travail qui a été effectué en amont du sien.

Depuis 2023, le réseau des services publics de médiation de conflits interpersonnels de la Région de Bruxelles Capitale travaille avec le réseau des Juges de paix de la Région de Bruxelles Capitale en vue de mettre en place une collaboration par laquelle des permanences de médiation lors des audiences de justice de paix sont prévues. Dans cet esprit, le juge de paix qui connaît bien le travail des médiateurs envoie les situations qui gagneraient à être traitées en médiation. Il s’agit principalement de situations dans lesquelles il est question, soit de prendre soin du lien qui unit les différentes parties, soit de travailler afin de restaurer la communication entre- .

Un espace d’écoute pour des solutions durables

À l’issue de ce processus, si un accord est trouvé en médiation, le juge de paix va aller dans le sens de cet accord et ainsi prononcer une « homologation ». Si un accord est trouvé, il est acté en audience. Dans le cas contraire, la procédure judiciaire reprend et le juge tranche.

Un autre avantage de la médiation locale est son accessibilité financière, les médiateurs étant rémunérés par la commune. Grâce à cela, il n’y a plus ce frein pour aller vers l’apaisement d’un conflit. Toute personne peut faire appel au service de médiation locale de la commune dans laquelle il réside ou dans laquelle il travaille.

De par notre expérience, les situations qui se présentent en médiation ont des sujets aussi divers que variés. Parmi eux, nous retrouvons les conflits de voisinage, les conflits locatifs, les conflits familiaux, les conflits entre collègues ou entre amis, etc.

La médiation est d’abord un espace d’écoute, où toute demande est accueillie, sans jugement et dans la bienveillance et, si nécessaire, réorientée vers d’autres partenaires[3]. Dans tous les cas, les médiateurs vont explorer les émotions et les besoins des parties pour avancer vers l’entente et/ ou des accords équilibrés et durables.

L’écoute au centre de la médiation

Dernièrement, nous avons eu une situation de médiation qui illustre parfaitement la notion d’espace d’écoute : J’ai été contactée par Jeanne, propriétaire d’un appartement dans notre commune qu’elle loue à Agathe, l’ex-compagne d’un de ses fils. Les deux femmes se connaissent depuis longtemps et sont unies par des liens profonds. Elles s’apprécient beaucoup et se soutiennent. Jeanne me contacte car elle rencontre des difficultés avec l’inconstance des paiements d’Agathe. En effet, Agathe qui travaillait dans un milieu très impacté par le Covid a pris du retard dans ses paiements. Ceci a des conséquences importantes pour Jeanne qui, faute de moyens, ne peut effectuer des travaux dans l’appartement ou même payer certaines dépenses quotidiennes. Ce revenu locatif est une nécessité complémentaire à son revenu mensuel.

Lors de notre premier entretien commun, après les avoir rencontrées, chacune de manière individuelle, les deux femmes sont arrivées ensemble. Agathe m’a expliqué les démarches qu’elle avait faites auprès de sa banque pour contracter un prêt afin de rembourser Jeanne en une fois. En effet, pour elle, il était important de se libérer de sa dette envers Jeanne afin de ne pas nuire à leur relation. Après s’être exprimée, elle m’a demandé s’il était possible de prévoir des rendez-vous réguliers jusqu’à ce que tout rentre dans l’ordre. Selon elles, le fait d’avoir un espace de confiance dans lequel parler de ces questions précises leur permettait, le reste du temps, de ne pas s’encombrer et les aidait à maintenir leur bonne entente tout en étant certaines de mener à bien la résolution de cette difficulté. Nous nous sommes dès lors entendues sur l’occurrence d’un rendez-vous toutes les deux semaines jusqu’à ce qu’elles considèrent que ça ne soit plus nécessaire.

Cet exemple démontre bien le caractère flexible de la médiation : elle offre un cadre souple qui peut s’adapter aux besoins spécifiques du conflit. Dans notre pratique quotidienne, nous accordons une attention particulière au contexte spécifique de chaque médiation. Nous nous efforçons de créer un environnement accueillant et inclusif, où toutes les voix sont entendues et respectées. En adoptant une posture neutre pour ce qui est du résultat de la médiation, le médiateur ne juge pas, il est impartial et indépendant. Nous favorisons la confiance et la collaboration entre les parties, facilitant ainsi le processus de résolution des conflits.

Au sein du service de prévention de la commune d’Anderlecht, nous constatons l’importance croissante de ce processus dans la gestion des tensions interpersonnelles et des litiges communautaires.

Comprendre le contexte émotionnel

Généralement, un processus de médiation se passe de la manière suivante : après avoir été contactée par une première partie (ci-après appelée P1), le médiateur qui prend en charge cette situation propose une rencontre à P1 pour qu’elle expose la situation face à laquelle elle se trouve. Lors de cet entretien, outre les informations objectives et concrètes, le médiateur prend soin de comprendre le contexte émotionnel dans lequel elle est. En effet, la particularité de la médiation est de tenir compte de toute la subjectivité émotionnelle de la situation conflictuelle et de travailler avec celle-ci. Le médiateur s’applique à identifier la « partie immergée de l’iceberg » en posant des questions sur ce que telle ou telle situation peut engendrer comme ressentis et comme besoins chez les différentes parties. Ce travail se déroule d’ailleurs durant tout le processus de la médiation. La première rencontre sert également à faire émerger une demande claire. C’est effectivement celle-ci qui permet de guider la suite de la médiation, de contacter l’autre partie et d’orienter le cap de la médiation en fonction des besoins spécifiques des parties. À la fin de cet entretien, les parties et moi, la médiatrice, nous mettons d’accord sur cette demande et j’explique également comment va se passer la suite, le cadre est mis en place. J’explique qu’il s’agit à présent d’inviter la deuxième partie à la médiation et que cette personne est évidemment libre d’accepter ou de refuser d’y participer. Si elle accepte, je lui propose également un entretien individuel et lui offre le même temps de parole que celui donné à P1. Si elle refuse, malheureusement, la médiation étant un processus volontaire, je ne pourrai pas la contraindre à venir me rencontrer et à prendre part au processus. Par ailleurs, je lui explique également ma position en tant que médiatrice. Nous nous mettons également d’accord sur la manière dont nous allons contacter P2 : qui va le faire et comment[4]. En ce qui me concerne, je pense qu’il est toujours préférable d’encourager P1, si elle le sent, à en parler directement avec P2. En effet, il est plus simple pour une partie d’accepter si elle est tenue au courant par P1 directement, cela évite à P2 notamment de se sentir attaqué. Évidemment, il n’est pas simple de faire ce pas vers l’autre, mais c’est une bonne entrée en matière quand on sait que la médiation rassemble autour de la table les différentes parties pour qu’elles parlent du problème. Outre cette possibilité, nous proposons d’appeler P2, de lui envoyer un mail ou de lui faire parvenir une invitation par courrier postal. P2 ne doit jamais agir sous l’influence de la contrainte car en fin de compte, c’est toujours lui qui décide au final de venir à la table.

Un espace de dialogue constructif pour la résolution des conflits

Après avoir rencontré P2 (et d’autres, éventuellement) selon le même procédé, nous prévoyons une rencontre avec toutes les personnes concernées par la médiation. Il est important de bien identifier les personnes impliquées afin d’avancer correctement dans le processus. Nous recevons les personnes dans un espace neutre, aménagé avec un mobilier favorisant le dialogue entre tous les participants (nous privilégions la table ronde qui est inclusive), y compris le médiateur. Une fois les personnes arrivées dans notre local, nous essayons de ne pas les laisser seules trop longtemps. Inversement, si une personne est amenée à attendre un moment seule, nous essayons de ne pas rester avec elle de manière à rester impartial.

Lors de cet entretien, nous prenons soin de faire respecter plusieurs règles de communication que nous énonçons au début : parler en « je », ne pas s’interrompre, s’écouter, être courtois et respecter un temps de parole égal. Une fois que les parties ont marqué leur accord, nous pouvons rentrer dans le processus à proprement parler : les faire parler successivement afin que chacun puisse être entendu et entendre l’autre. Cette étape permet de faire coexister les récits, sans jugement, de faire circuler l’information et de séparer les personnes du problème.

Au cours de ces récits, nous identifions les sujets et les besoins : nous aidons chacune des parties à identifier quelles sont les questions concrètes ou plus abstraites qui sont en jeu pour elle-même, mais également pour l’autre. Le but ici est de sortir de cette logique antagoniste et de mettre les parties en état d’esprit de collaboration.

Vient ensuite une étape plus créative, dans laquelle les pistes possibles sont explorées pour chacun des sujets relevés. Le but est de trouver une solution satisfaisante pour toutes les parties concernées. Les faire collaborer entre elles permet de rétablir le respect et la confiance mutuelle.

Enfin vient la phase de négociation, où il s’agit de trouver un accord équilibré par une combinaison d’options qui couvre l’ensemble des sujets et intérêts identifiés. À la suite de cela, un accord est trouvé de manière provisoire ou définitive et qui, comme nous l’avons déjà vu, peut ou non faire l’objet d’un écrit que les parties signeront.

Pour un désengorgement du système judiciaire

Nous espérons, dans le futur, que la médiation prenne une place plus prépondérante dans la résolution des conflits interpersonnels, ce qui aura les avantages suivants :

  • La réduction des litiges judiciaires : La médiation permet de résoudre les différends de manière amiable et souvent plus rapide que les procédures judiciaires traditionnelles. Cela pourrait réduire la congestion des tribunaux et les coûts associés à la résolution des litiges.
  • L’économie de temps et d’argent : En évitant les procès longs et coûteux, la médiation peut permettre aux parties en conflit d’économiser du temps et de l’argent, avantage appréciable, que ce soit pour les entreprises et les particuliers.
  • Le maintien des relations : La médiation offre un cadre pour que les parties en conflit puissent communiquer et collaborer pour trouver des solutions mutuellement acceptables. Cela peut contribuer à préserver les relations interpersonnelles et professionnelles, ce qui est particulièrement important dans les situations où les protagonistes sont amenés à continuer à se côtoyer.
  • L’autonomie des parties : Contrairement à un processus judiciaire où un juge impose une décision, la médiation permet aux parties de conserver le contrôle sur le résultat final. Cela permet de faire émerger un sentiment de satisfaction et de justice chez les parties impliquées.
  • La flexibilité et personnalisation : La médiation offre un espace flexible où les solutions peuvent être adaptées aux besoins spécifiques des parties en conflit. Les accords résultants peuvent être plus créatifs et répondre plus précisément aux intérêts des parties que les décisions judiciaires standardisées.
  • Le désengorgement du système judiciaire : En redirigeant une partie des conflits vers des processus de médiation, le système judiciaire peut se concentrer sur les affaires les plus complexes et les plus graves, améliorant ainsi l’efficacité globale de la justice.
  • L’éducation et sensibilisation : La médiation implique souvent une participation active des parties, ce qui peut favoriser une meilleure compréhension des problèmes en jeu et des mécanismes de résolution des conflits. Cela pourrait contribuer à une culture de résolution constructive des différends au sein de la société.

En somme, l’utilisation plus répandue de la médiation dans l’avenir pourrait non seulement améliorer l’accès à la justice, mais aussi favoriser un climat social plus harmonieux et une meilleure compréhension mutuelle.

Malgré un cadre très défini, notre travail est avant tout basé sur l’humain, les émotions, les besoins et les sentiments. Cette approche, même si elle commence à se faire connaître, n’est pas encore pleinement acceptée ni spontanément intégrée dans les mentalités. On observe que la tendance, bien que non quantifiée de manière précise, penche souvent vers la confrontation ou la fuite lorsqu’un conflit s’installe. Cela nécessite un certain courage de s’asseoir à la table avec la personne sujet du conflit, écouter activement et faire l’effort de comprendre son point de vue. Faire un pas vers la médiation constitue un changement de paradigme dans les relations sociales auxquelles nous aimons croire.

[1] La loi de 2005, actualisée en 2018 apporte une définition de la médiation qui n’existait pas avant.

[2] Guillaume Hofnung, La médiation, Collection Que Sais-je, 2014.

[3] Une fois la demande bien identifiée, il est courant que la médiation ne soit en fait pas la vraie demande, dans ce cas, nous prenons soin d’accompagner les personnes vers les bonnes personnes. Par ailleurs, nous travaillons en lien avec beaucoup de partenaires qui ont des offres complémentaires à la nôtre vers lesquelles nous renvoyons certaines demandes quand ça s’y prête mieux.

[4] Il est à noter qu’il n’est pas évident de rassembler les deux personnes autour d’une table pour discuter ensemble de leur différent. Souvent, il nous est demandé de jouer les intermédiaires pour trouver une solution de manière indirecte. Tous les médiateurs n’acceptent pas de le faire.

Photo d’ouverture : © Photo de Karolina Grabowska sur Pexels

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