Mes collègues savent combien j’aime marteler les évidences et bien souvent s’en amusent. En voici une que j’apprécie tout particulièrement : nos divers langages sont le reflet de nos pensées et nos pensées sont structurées et façonnées au travers de ces langages. Les mots ou les idées sont autant de portes ouvertes, entrouvertes voire fermées sur le monde qui nous entoure. Dès lors, aborder une autre culture sans tenir compte de ces tortueuses perceptions ou appréhensions induites par le·s langage·s et l’environnement, c’est rater une belle occasion de se faire entendre et surtout de se faire comprendre.

Dans le Magazine n’GO, entre octobre 2012 et juin 2013, Odile Tendeng nous avait proposé une série d’analyses linguistiques de l’interprétation qui est faite du mot “développement” dans différentes langues africaines. Je ne résiste pas au plaisir de taper sur le clou en vous proposant ici le premier opus de cette série.

Thierry Fafchamps, Graphiste à Echos Communication

Des Diolas, réfractaire au développement du blanc

Les Diolas sont réputés réfractaires au changement. Si certains projets de développement ont pu garantir un certain bien-être aux populations, ils n’ont pas, dans leur grande majorité, changé la manière de faire et d’être du paysan diola. Le paysan diola a vite compris qu’un projet de développement a une durée de vie très courte. Il est donc resté attaché à ses techniques et méthodes de culture qui pour lui représentent non seulement la sécurisation de la production – en prévision du moment où le projet s’arrêtera et avec lui l’argent et les intrants –, mais aussi une sorte de contrat social qui le lie à la terre de ses ancêtres. Or, les projets de développement qui se sont succédés dans la région n’ont pas tous apporté le bien-être promis ; certains ont accéléré la dégradation d’un écosystème déjà très fragilisé par les aléas climatiques. Les paysans citent en exemple la première expérimentation rizicole de 1965 financée par le Fond Européen de Développement (FED) et mise en œuvre par l’International Land Development Consultants (ILACO), une organisation hollandaise. Les ouvrages d’aménagements (construction de polders…) mis en place par ILACO ne tenaient pas compte du déficit pluviométrique et furent donc à l’origine de l’acidification de milliers d’hectares de sols cultivables, créant par endroits des dégâts irréparables, avec des taux de salinité de la terre deux fois et demi plus élevés que celle de la mer. Cette expérience traumatisante a rendu les paysans beaucoup plus méfiants vis-à-vis de tout projet de développement qui touche à la terre. C’est ce qui fait dire à un paysan diola que la traduction la plus adéquate de projet de développement est : « une succession d’essais et d’erreurs. Or, dit-il, on n’essaie pas la vie d’un homme. »

Odile Tendeng

Odile Tendeng

Linguiste

Odile Tendeng est linguiste de formation. Elle s’intéresse particulièrement à l’ethnolinguistique qui étudie le lien entre les langues et les gens qui la parlent. Par ce prisme, elle découvre des organisations sociales, des cultures, des visions du monde,…
Jeunes filles diola lors du boukout (rites d’initiation) de Baïla en août 2007 (Casamance, Sénégal). © KaBa (KaaBaa) – Wikimedia

“Développement” en diola

Les Diolas perçoivent le développement comme un processus. Ils le voient d’abord comme un effort individuel de chacun à vouloir bâtir l’idéal communautaire. Le terme “Eakken” ou “Ehanken” signifie littéralement “faire des efforts ; s’efforcer à…”

Or, l’effort qui doit conduire au développement est la somme des efforts individuels dont le but est de rendre effectif le projet communautaire : reproduction du groupe et fertilité des terres dans le respect strict de la vie. Les Diolas sont connus pour être des gens individualistes où le mérite est personnel. On est ce qu’on est par la force de son bras et non par la naissance. Étant très attachés à leur culture et à leur environnement qu’ils considèrent comme une partie d’eux-mêmes, ils conçoivent tout développement comme un processus qui respecte ses croyances et ses connaissances. Ce refus d’un développement qui aliène le futur, les habitants du village de Mangagoulak viennent de l’asséner aux ONGs qui évoluent en Casamance. Les pêcheurs du village qui se sont constitués en association dénommée “Kawawana” – ce qui veut dire : “préserver notre patrimoine ancestral” – refusent l’ingérence des ONG. Ils veulent garder la mainmise dans la gestion de leur projet.

Odile Tendeng, Magazine n’GO n°5, octobre 2012

Se mettre en action

Qu’évoque pour vous le mot « développement » ? Quel autre mot d’usage dans la coopération prend un autre sens dans une autre culture que la vôtre ? Partagez vos réflexions sur Youmanity !

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