Le mot partenariat est mobilisé à tous les niveaux de la coopération au développement, dans les ONG, comme dans les organisations internationales, qu’on parle de finances, de santé, ou encore d’éducation. Le plus souvent, on utilise ce terme pour caractériser la relation qui unit des acteurs des Nords avec ceux des Suds. Ses protagonistes visent à la distinguer de collaborations plus triviales, notamment commerciales. On attend alors du partenariat qu’il soit solide, authentique, transparent ou encore équilibré.

Stéphanie Merle, ONG Louvain Coopération.

Les relations universitaires Nord/Sud n’échappent pas à la rhétorique partenariale. Les universités et les enseignants s’appellent mutuellement partenaires, et tendent à souligner le caractère « spécifique » de leur collaboration. Pour explorer dans cet article la dimension partenariale entre acteurs universitaires Nord/Sud, nous nous appuierons sur un dispositif pédagogique mené depuis 10 ans avec plus de 1000 étudiants en collaboration avec des acteurs socioéconomique dans plus de 15 pays. Cet exemple nous permettra d’explorer comment la notion de partenariat, importée du champ de la coopération internationale, est mobilisée dans un projet éducatif, et également de comprendre comment, en développant une réflexivité, les étudiants pourraient construire des partenariats plus éthiques.

Nous partagerons d’abord quelques éléments de définition utiles sur le partenariat, nous présenterons ensuite rapidement le cours dont il est question, pour terminer sur la nécessaire réflexivité qui permet de construire des actions éthiques.

Dépasser les objectifs communs du partenariat

Penchons-nous un instant sur la notion de partenariat, car si elle fait l’unanimité –qui pourrait se dire contre le partenariat ?–, lorsqu’il s’agit de la définir, c’est une autre histoire ! Elle est même si floue, que le peu sur lequel on pourrait vraiment s’accorder serait constitué des trois conditions suivantes : (1) chaque partenaire s’attend à recevoir quelque chose des autres, que ce soit sur un plan matériel ou immatériel ; (2) chaque partenaire a l’impression d’apporter quelque chose aux autres ; (3) il est nécessaire que les partenaires aient un objectif commun à atteindre, un objectif qui ne soit propre ni à l’un, ni à l’autre (De Leener, 2013).

Cette approche met l’accent sur l’apport de chacun dans la relation partenariale, ainsi que sur la réalisation d’objectifs communs. Bien que cela semble intuitivement logique, on peut compléter en disant que l’atteinte d’objectifs communs dépend également de facteurs extérieurs à la relation partenariale, notamment l’environnement politique ou les ressources de chacun (Atouba & Shumate, 2020). De plus, pour mesurer l’efficacité du partenariat, d’autres approches mettent l’accent sur la qualité du processus de collaboration. Selon cette approche, des facteurs tels que la gouvernance partagée et le bon fonctionnement de la dynamique partenariale sont des indicateurs clés. Une autre approche considère que jauger un partenariat nécessite de dépasser non seulement l’évaluation de la réalisation des objectifs prévus, mais aussi celle du processus de dynamique partenariale, pour s’intéresser principalement à ce qu’en pensent les partenaires. Ce serait la perception des efforts de collaboration et de l’atteinte des résultats par les partenaires qui compterait pour estimer un partenariat (Chen, 2008).

Si le COTA souligne également l’objectif commun et la réciprocité comme des éléments caractérisant le partenariat, il ajoute que la relation doit être basée sur l’égalité et sur la transparence (Lemmel & Signoret, 2016). Une rhétorique égalitariste qui n’a que modérément changé les rapports de pouvoir fondamentalement inégalitaires existant entre le Nord et le Sud. Navarro-Flores parle d’ailleurs d’un compromis qui « contient à la fois l’inégalité des rapports de pouvoir Nord-Sud et la convergence de leurs objectifs » (Navarro-Flores, 2007, p. 313).

Ce qu’on peut dire à ce stade, c’est que les acteurs ne s’embarrassent pas à cocher tous ces critères avant de donner le nom de « partenariat » à une relation. Le plus souvent, le partenariat reste un processus de collaboration entre acteurs inégaux, avec des rapports de force fluctuants, ou chaque acteur n’est pas pleinement conscient, ou ne souhaite pas l’être, de ce qu’il gagne ou perd dans la relation. Ajoutons que les objectifs propres ne s’effacent que rarement devant l’objectif commun, ce qui oblige les partenaires à élaborer des compromis, alliant échanges, négociations et rapports de force.

Un exemple de collaboration interuniversitaire Nord/Sud

Pour illustrer cette notion de partenariat dans un contexte Nord/Sud et en éducation, prenons le cours IngénieuxSud qui a été initié en 2013 par l’UCLouvain et l’ONG Louvain Coopération à l’attention des étudiants de troisième année du Secteur des Sciences et Technologies[1]. Chaque année, environ 200 étudiants d’universités belges, béninoises, malgaches, congolaises, péruviennes, indiennes ou encore rwandaises collaborent pendant 1 an, à distance, par groupe de 8, avec un acteur socioéconomique (entreprise, centre de formation, ONG, etc.) autour d’une question technique complexe : assainissement de l’eau, valorisation des déchets agricoles, autonomisation énergétique, etc. Les étudiants se retrouvent ensuite en stage, pendant un mois dans l’association ou l’entreprise qui a proposé la thématique, afin d’implémenter la solution co-construite. Le cours adopte une formule hybride de modalités pédagogiques où les apprentissages en situation réelle et en équipes multiculturelles sont centraux, le tout émaillé de plusieurs séquences d’enseignement plus formelles et d’une pratique réflexive tout au long du processus, grâce à un portefolio itératif.

Les différentes méthodes pédagogiques combinées dans le cours IngénieuxSud réfèrent à une démarche pédagogique bien documentée, principalement dans les universités américaines, le Service Learning. De manière générale, le Service Learning propose de combiner les apprentissages académiques avec une expérience concrète et un service à la société, le tout en développant une pratique réflexive sur l’ensemble du processus (Crabtree, 2008; Howard, 2001).

La finalité de ce cours est de former les étudiants à mettre en œuvre une démarche de réflexion éthique dans leur vie professionnelle future, qui se décline dans les deux acquis d’apprentissages suivants : (1) concevoir un projet technique dans une approche systémique[2] ; (2) construire des partenariats équilibrés dans leurs projets.

Dans cet article, c’est principalement sur ce dernier objectif que nous allons nous pencher. Ce dispositif pédagogique nécessite la mise en place de collaborations à plusieurs niveaux entre étudiants, universités et acteurs socioéconomiques. Ces derniers sont rapidement renommés partenaires par les étudiants et la relations qui les unit est alors appelée partenariat.

Dès ses débuts, les responsables du cours ont mis en place quelques « principes directeurs » au niveau des collaborations, notamment d’éviter les transferts d’argent entre étudiants et acteurs socioéconomiques afin que les collaborations n’entrent pas dans un système de redevabilités ; de reconnaître les intérêts et les motivations diverses ; ou encore que chaque enseignant reste responsable de la formation de ses étudiants.

La collaboration entre les étudiants et les acteurs socioéconomiques reste pourtant jonchée d’inégalités structurelles, qui sont elles-mêmes le reflet des relations au niveau global, entre pays des Nords et des Suds : conditions matérielles, déplacements, accès à l’information, temps à consacrer au cours, attendus des enseignants, etc. L’apprentissage coopératif en équipes multiculturelles charrie une série de modes opératoires qui peuvent même renforcer les stéréotypes. On peut par exemple observer que s’installe insidieusement une séparation dans l’attribution des tâches : les étudiants des Suds récoltent les données et les étudiants des Nords les analysent.

La pratique réflexive (…) permet non seulement de prendre conscience du caractère systémique des relations inégales dans le partenariat (Freire, 2021) mais également de contribuer à construire une démarche éthique.

Le dialogue entre les étudiants et l’acteur socioéconomique où a lieu le stage fait l’objet de nombreuses négociations. Les étudiants sont perçus comme ceux qui « savent », les « solutionneurs de problèmes », et les autres deviennent les « créateurs de problèmes » (Andreotti, 2014). Lorsque cette situation se présente, les étudiants peuvent rester « coincés » dans une relation paternaliste à l’égard de l’acteur socioéconomique, sans envisager la dimension réciproque que recèle la notion de partenariat.

En promouvant le cours, l’université belge se décore pour sa part d’un label solidaire, qui lui permet de se positionner sur le marché de l’enseignement supérieur, en espérant augmenter ses effectifs étudiants. Plus intéressant, mais moins documenté, on peut également observer qu’en inscrivant ces préoccupations solidaires dans les cours, certes, l’université les valorise, mais elle les institutionnalise également. Elle encadre et canalise ainsi l’engagement étudiant.

Pour ce qui concerne les acteurs socioéconomiques, ils font part en début d’année aux enseignants de problématiques techniques qu’ils souhaitent voir résoudre par les étudiants. C’est bien là que se trouve leur première motivation, à laquelle vont rapidement se joindre les étudiants. Toutefois, alors qu’ils attendent des réponses à leurs questions techniques, ils se retrouvent rapidement à prendre une place de maître de stage. Le « projet », une reprise là encore de la rhétorique de la coopération, rassemble donc tous ces acteurs, avec leurs motivations propres, et devient une sorte de point de passage obligé (Callon, 1986).

Pratique réflexive autour du partenariat

La pratique réflexive est considérée dans les cours de Service Learning comme un incontournable et se réfère généralement à la capacité à « devenir objet de sa propre réflexion, et ce, afin de prendre des décisions sur les actions en cours et à venir » (Lison, 2013). Elle permet non seulement de prendre conscience du caractère systémique des relations inégales dans le partenariat (Freire, 2021) mais également de contribuer à construire une démarche éthique. Pour travailler la pratique réflexive avec des étudiants, plusieurs stratégies sont possibles, du portfolio, aux groupes de discussion, aux communautés de pratiques etc.

Un cours qui propose une collaboration entre pays des Nords et des Suds, mais aussi entre enseignants, chercheurs, étudiants, responsables d’entreprises et professionnels d’ONG, met les étudiants en situation d’apprentissage par l’action. Mais le cours demande aussi aux étudiants d’élaborer une pratique réflexive afin de développer leur perception sur l’ensemble du processus partenarial. Toutes les citations reprises dans la suite de l’article sont extraites de ces verbatims d’étudiants récoltés dans le cadre du cours.

Les étudiants soulignent ainsi qu’« un partenariat équilibré ne signifie pas que chaque partenaire doive apporter la même chose, mais qu’il réside plutôt en un apport équilibré de capacités différentes, en fonction de ce que chacun est capable d’apporter d’un point de vue technique, financier, matériel, d’expériences, de savoir… ». Ils prennent alors toute la mesure de l’importance de se questionner sur « les attentes des chacun » et de réaliser que « cela ne peut se dérouler que dans un cadre où chacun se sent à sa place, on en vient alors à la nécessité de respect et de bienveillance » afin que chacun puisse « déployer ses qualités dans un cadre qui lui convient et exposer ses idées ».

De manière plus normative, ils soutiennent que cette collaboration doit tendre vers une « gouvernance partagée » et se construire à travers plusieurs valeurs telles que « l’altruisme, le respect, la confiance, la coopération et la créativité ». Ils mettent également en avant la nécessaire posture d’humilité à adopter dans le chef des acteurs du Nord devant les « connaissances approfondies du contexte, du pays, du sujet du projet et de ses conséquences » par les acteurs des Suds.

Les étudiants retiennent de leur expérience que les rapports de force peuvent exister, mais qu’« ils doivent s’équilibrer afin de s’éloigner d’un modèle trop hiérarchisé ». Le partenariat vise plutôt à les « tempérer et à ouvrir le dialogue ». Si les relations entre les acteurs socioéconomiques et les étudiants sont plutôt inégales, le partenariat existe pourtant si « les valeurs et les intentions de collaboration restent présentes ». L’objectif final du partenariat consiste à ce que « tous les partenaires puissent en tirer des bénéfices ».

Les étudiants réalisent également que la mise en collaboration prend du temps, que cela « ralentit les prises de décision ». Mais que ce temps est incompressible car il permet de « renforcer la confiance des partenaires et de se rendre compte des rapports de pouvoir ». De plus, les étudiants soulignent que s’engager dans un partenariat exige un « approfondissement personnel pour identifier ses croyances, ses limites et sa position dans le projet ».

Conclusion

Les définitions du partenariat insistent sur l’objectif commun que les partenaires se doivent d’identifier afin de dépasser leurs attentes particulières. Si les facteurs extérieurs sont déterminants dans la réussite d’un partenariat, il faut aussi s’assurer que les acteurs donnent de l’attention au processus et aux perceptions de chacun. Nos observations soulignent que même si la conception d’un dispositif technique « projet » rassemble tous les partenaires, les motivations et attentes de chacun restent bien distinctes.

C’est pourquoi, les institutions d’enseignement supérieur ont une contribution majeure à apporter dans la formation d’étudiants qui seront amenés à collaborer entre pays des Nords et des Suds. Il s’agit de développer chez eux une réflexion critique et éthique afin qu’ils puissent s’interroger sur les enjeux du partenariat, les processus, les relations, et construire des partenariats plus équilibrés. Il s’agit également de ne pas utiliser la rhétorique des partenariats à la légère, cela peut au mieux créer de la confusion, et au pire, renforcer l’inégalité des rapports de force.

En conclusion, la recherche de partenariat équilibré entre les pays des Nords et des Suds est un enjeu crucial pour construire un monde plus juste et plus équitable. Les universités ont un rôle clé à jouer dans la promotion de partenariats équitables et mutuellement bénéfiques, en travaillant à la formation des étudiants.

[1] Le Secteur des Sciences et Technologies à l’UCLouvain comprend l’Ecole Polytechnique de Louvain, la Faculté des Sciences, la Faculté de Bioingénierie, et la Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale et d’urbanisme.

[2] C’est-à-dire, qu’ils doivent être attentifs (1) aux finalités sociales/économiques/environnementales de leur projet, (2) aux échanges entre les parties prenantes, (3) aux différents niveaux d’organisation, et (4) aux boucles dynamiques de rétroaction.

Stéphanie Merle

ONG Louvain Coopération

Depuis plus de 20 ans, Stéphanie Merle travaille dans l’ONG Louvain Coopération sur les thèmes de l’éducation à la citoyenneté mondiale et du partenariat Nord/Sud. Elle est également chercheure en sociologie où elle étudie les enjeux éthiques liés à la justice sociale qui émergent de dispositifs sociotechniques avec les pays du Sud. Maître de conférences invitée à l’Ecole polytechnique de Louvain (UCLouvain), elle dispense depuis 10 ans le cours IngénieuxSud à l’attention des étudiants en ingénierie.

Photo d’ouverture : © VesnaArt – Shutterstock

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