Beni, Nord Kivu, RD Congo. 4 décembre 2014 : Mur d’espoir. La MONUSCO, les FARDC et le peuple congolais disent non à la guerre et mettent tout en œuvre pour que les massacres des populations civiles prennent fin. Photo MONUSCO/Abel Kavanagh (Wikimedia)

En 1994, le Rwanda fut ravagé par le génocide des Rwandais Tutsi. Après trois mois de massacres [1], les Tutsi prennent le pouvoir avec Paul Kagamé à leur tête. Cela marque la fin officielle du génocide des Tutsi au Rwanda. Près d’un million de Hutu, dont certains ayant commis des crimes durant le génocide, fuient alors au Kivu, une région de l’Est de la République Démocratique du Congo (appelé Zaïre à l’époque).

De 1994 à 1996, le Zaïre va connaitre « la première guerre du Congo ». Les Hutu génocidaires, ayant trouvé refuge dans le pays avec l’assentiment du régime de Mobutu, sont recherchés par le Rwanda et l’Ouganda [2]. Ces deux pays vont appuyer l’opposition, menée par Laurent-Désiré Kabila. Il sera placé à la tête de la République Démocratique du Congo à la suite de la chute de Mobutu.

Rapidement, Laurent-Désiré Kabila veut se défaire de ses alliés. Entre 1998-2002, le pays connait la « deuxième guerre du Congo », un conflit régional dans lequel 7 pays sont impliqués pour l’accès aux ressources minières du sol congolais. Chaque pays s’appuie sur des milices qui se démultiplient. Aujourd’hui encore, il est difficile de comprendre les dynamiques entre les centaines de milices toujours existantes. Malgré des Accords de Paix signé en 2002 et une nouvelle constitution en 2006, le pays est encore aux prises des conflits qui déstabilisent toute la région.

En 2010, l’ONU publie le rapport Mapping, un rapport qui répertorie toutes les violations des droits humains qui ont eu lieu entre 1993 et 2003 en RDC. Ce rapport évalue également « les moyens dont le système national de justice congolais dispose pour traiter ces violations et de formuler différentes options possibles de mécanismes appropriés de justice transitionnelle qui permettraient de lutter contre l’impunité régnant en RDC » [3]. Cependant, ce rapport a depuis été mis aux oubliettes, comme le martèle le docteur Denis Mukwege [4] qui plaide pour la prise en compte et les mise en application des recommandations du rapport Mapping.

Rapport du Projet Mapping

Rapport du Projet Mapping (PDF du Rapport)

Des organisations internationales [1] se demandent aujourd’hui pourquoi si peu de victimes touchent des réparations en République démocratique du Congo, alors que les condamnations pour crimes internationaux se multiplient ?

Marie Noël Kabuya

[1] On estime le nombre de victimes à 800 000 – 1 million.

[2] L’Ouganda fut le refuge de nombreux Rwandais Tutsi dans les décennies passées, notamment le Front Patriotique Rwandais (FPR) dont Kagamé était à la tête lors du génocide.

[3] Rapport Mapping, 2010, ONU, p. 13.

[4] Gynécologue et militant congolais, prix Nobel de la paix en 2018, Denis Mukwege, « l’homme qui réparait les femmes », travaille à l’hôpital de Panzi à Goma (Sud-Kivu) où de nombreuses victimes de violences sexuelles sont prises en charge.

[5] L’Etat congolais est poursuivi et condamné de manière solidaire pour défaut de protection des citoyens congolais. Si les accusés ne peuvent s’acquitter des réparations prononcées (ce qui est souvent le cas), c’est l’Etat qui doit s’en acquitter.

La RDC s’est, depuis le début des années 2000, engagée dans un processus de lutte contre l’impunité. Aujourd’hui, le bilan est mitigé. Entre 2005 et 2020, les juridictions congolaises se sont saisies de 52 dossiers de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, prononçant un grand nombre de condamnations, et le versement de près de 28 millions de dollars dommages et intérêts pour les 3300 victimes représentées lors de ces procès. Cette apparence de justice est pourtant mise à mal par la réalité́ des statistiques d’exécution de ces réparations [5]. À ce jour, seule une décision de réparation semble avoir été exécutée.

Comprendre l’inexécution systématique des mesures de réparation

Au-delà des questions de volonté politique, un contexte global de lourdeur et de lenteur administrative sont les majeurs obstacles à l’exécution des jugements de réparation. Le parcours pour obtenir des réparations implique un nombre considérable d’étapes et d’interlocuteurs dans des juridictions et administrations fortement entravées par la lenteur administrative et les pratiques corruptives.

Une réforme de ce système semble nécessaire. La question des modalités de réparation en est une première piste. Actuellement, les réparations sont des sommes d’argent à payer. Or, d’autres réparations sont envisageables : travaux d’intérêt communautaire, accompagnement psychologique et social des victimes, aide à la réinsertion professionnelle, … Il s’agit de changer la dynamique au sein d’un Etat qui n’a ni la volonté, ni la capacité d’assurer les services minimums à sa population.

Un questionnement profond sur la justice transitionnelle

Dans un pays où des crimes de masse d’une telle ampleur ont eu lieu, il est important de passer par une autre forme de justice que le système pénal uniquement. La justice transitionnelle, avec son éventail des outils judiciaires et non-judiciaires, tend à favoriser la reconstruction d’une société ayant subi des atrocités. Les éléments principaux de la justice transitionnelle sont la lutte contre l’impunité à travers les poursuites judiciaires ; Les réparations aux victimes ; la mémoire et la réconciliation ; les réformes comme garanties de non répétition.

Afin de participer aux efforts de lutte contre l’impunité, RCN Justice & Démocratie forme des journalistes afin de les appuyer dans la couverture médiatique des enquêtes et des procès pour crimes internationaux. Ce type de sujet, alors relayé dans la presse congolaise, devient accessible pour la population. Marie Noël Kabuya est une des journalistes formées par RCN Justice & Démocratie. Elle nous explique l’importance d’outiller les médias à ce sujet.

« La justice est un monde d’initiés, que les seules compétences en journalisme ne suffisent pas pour le percer. Pour une journaliste, la couverture médiatique des activités judiciaires en général, et particulièrement celles en rapport avec la lutte contre l’impunité des crimes de masse, nécessitait d’avoir quelques connaissances (procédurales et notionnelles sur le droit) et une meilleure collaboration avec les acteurs de ce monde afin de délivrer une information fiable. Et RCN Justice & Démocratie nous a outillé sur la justice pénale en matière de crimes internationaux. C’est ce qui nous a permis de comprendre le contexte de la lutte contre l’impunité dans notre pays et quelques notions sur les crimes internationaux. Cela nous a également facilité l’usage du jargon juridique selon les étapes, de savoir quand approcher les acteurs judiciaires, surtout ceux des juridictions, et comment trouver la meilleure information. L’appui de RCN Justice & Démocratie m’a permis de m’améliorer dans le traitement de l’information judiciaire ».

Rédigé par Hélène Pochet, adjointe pédagogique RCN J&D

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