Un stage international octroie, au-delà de la mise en pratique des compétences acquises par l’apprenant, un environnement multiculturel qui décontextualise le processus d’apprentissage. Ce nouvel environnement permet au stagiaire une autonomie de travail et une prise d’initiative plus importante ayant pour conséquence une meilleure confiance en soi.

Jean Paul Katond Mbay, professeur au département d’électromécanique de l’école Polytechnique de l’Université de Lubumbashi (UNILU)

Suite à nos expériences, il convient aussi de noter le fait que les stagiaires venant du Nord, se rendent souvent compte de « la chance » qu’ils ont de bénéficier des infrastructures et services publics de meilleures qualités alors considérés comme acquis et routiniers. Au retour du stage, ils apprécient mieux l’organisation et le travail abattu dans leur pays de provenance pour maintenir leur standing de vie.

Contexte et échec du premier stage

Assistant au département d’électromécanique de la faculté Polytechnique de l’université de Lubumbashi en République démocratique du Congo, j’ai été sélectionné en 2008 pour bénéficier d’une bourse de doctorat de la Coopération Technique Belge (C.T.B.). J’ai alors démarré mon doctorat en 2009 à l’Ecole Polytechnique de Bruxelles de l’Université Libre de Bruxelles et, 4 ans plus tard, j’ai défendu ma thèse de doctorat.

Dès 2010, en complément à mes recherches doctorales et avec le quitus de mon encadreur de thèse, j’ai entrepris l’organisation de stages de trois mois couplés de mémoires de fin d’études pour des étudiants finalistes de l’Ecole Polytechnique de Bruxelles à Lubumbashi. Notre première candidate fut une étudiante motivée et brillante qui souhaitait effectuer son stage à Lubumbashi, la deuxième plus grande ville de République démocratique du Congo et capitale économique du pays.

Après plusieurs échanges, nous avons donc retenu la candidate pour laquelle les formalités administratives et financières ont débuté et été bouclées en quelques jours. À quelques semaines du départ vers Lubumbashi, le stage a été malheureusement annulé. C’est fut un revers qui nous laissa un goût amer. Rétrospectivement, il était important pour nous d’essayer de comprendre les contours de cette « déconvenue » car l’année qui suivait, il nous fallait à nouveau organiser un stage.

Constats et bilan personnel, institutionnel et sociétal

Dans cette première expérience d’organisation d’un stage et lors de nos échanges avec l’entourage et surtout les parents de la candidate, un absolu nous est apparu caché derrière ces « interrogatoires ». C’était une peur, une peur légitime de laisser partir si loin, vers des terres inconnues une jeune dame, fille unique de surcroit, vers l’Afrique. Et dans quel pays ? La République Démocratique du Congo. Un pays dont les médias de l’époque insistait sur la guerre à l’est du pays alimentée par des dizaines de groupes, où le viol était systématique et quotidien, où régnait la famine et l’instabilité politique. Un tableau si noir dépeint par les médias qu’ils ont fini par étouffer la flamme de la motivation de la candidate.

À mon humble avis, à force des interactions avec son entourage, la peur ressentie par ce dernier a fini par envahir la candidate et impacter négativement sur sa motivation jusqu’à l’annulation de la mission, non sans regrets. Elle me dira : « Si je pars, mes parents vont mourir d’inquiétude ». La candidate s’était retrouvée dans une position où elle avait l’obligation de rassurer et de convaincre son entourage, en disposant d’un soutien et d’informations de terrain obtenues des organes et des personnes bien renseignées et crédibles.

Et pourtant, à l’époque, la ville de Lubumbashi était l’une de plus sûre du pays. Les évènements décrits dans les médias se déroulaient à plus de 2000 km de Lubumbashi. D’ailleurs, de mon avis personnel, je me sentais plus en sécurité à Lubumbashi que dans certains quartiers de Bruxelles.

Avec du recul, je pense qu’à l’époque nous n’avons pas pu fournir un soutien suffisant à la candidate pour permettre de balayer et/ou atténuer la peur légitime et l’inquiétude ressentie par ses proches.

Cette peur de l’inconnu légitime à toute mission « lointaine » est en grande partie nourrie par un prisme ayant plusieurs facettes dont des imaginaires, des préjugés, la culture ainsi que les médias en ce qui concerne l’Afrique en général, et la République Démocratique du Congo en particulier.

Le stage et le mémoire ont été pensé de telle manière à ce que les deux parties se sentent égalitaires même si les financements proviennent du Nord.

Selon plusieurs études, les médias occidentaux ne consacreraient que 2% de leur couverture médiatique à l’Afrique, continent qui abrite près de 17 % de la population mondiale. Difficile dans ces conditions de rendre compte de toute sa diversité. Les informations retenues sont le plus souvent liées à des événements tragiques, projetant une image négative et pessimiste d’un continent ravagé par les guerres, la corruption, le terrorisme, les maladies ou la famine. Le continent africain reste généralement représenté comme une vaste contrée sans frontières et sans métropoles, peuplée d’animaux sauvages vivant entre jungle et savane. « Africa is a country », « l’Afrique est un pays, voire une civilisation ». L’Afrique est également perçue comme en retard du monde, plombée par des famines récurrentes et maintenue à l’écart de la globalisation par une pauvreté généralisée. Pas de transports, pas d’hôpitaux, pas de routes…

Toutes ces informations, en majorité négatives, dispensées dans les médias tendent à renforcer les préjugés, la peur ainsi que les imaginaires sur l’Afrique et spécialement sur la RD Congo. Seuls des stagiaires surmotivés et bien informés de la situation réelle générale du pays arrivent à traverser le rubicond et à réaliser, effectivement, leur séjour.

Tirer des enseignements des échecs rencontrés

Dans le cadre du Projet Charlu en cours (« Charbon de Lubumbashi », un PRD-ARES), je suis responsable des aspects liés à l’optimisation du processus de carbonisation du bois en charbon de bois. Dans le projet étalé sur cinq années, il est convenu de la rédaction commune, chaque année académique, d’au moins un mémoire entre les étudiants de l’Université de Lubumbashi et ceux de la Haute Ecole de la Province de Namur. Ce mémoire est normalement précédé d’un stage « de terrain in situ » (en RD Congo) ou d’un stage en laboratoire (en Belgique) en fonction des besoins de la recherche.

Le stage et le mémoire ont été pensé de telle manière à ce que les deux parties se sentent égalitaires même si les financements proviennent du Nord.

En effet, tirant les leçons des échecs du passé, nous mettons un accent particulier sur le partage des informations avec les candidats stagiaires intéressés ainsi que leurs proches dès le début sur la ‘situation réelle‘ sociale, sécuritaire, politique et économique en RD Congo et singulièrement dans la ville de Lubumbashi.

Nous essayons également de garder contact avec les anciens stagiaires qui ont effectués leur stage à Lubumbashi, ils peuvent partager leur expérience et constituer des points de repère pour les nouveaux candidats stagiaires.

En ce qui concerne les mémoires des finalistes, les sujets sont choisis et d’abordés afin de résoudre les problématiques locales. Les travaux doivent être effectués avec les mêmes standards stricts de rigueur dans leur élaboration ainsi que dans leur évaluation. Un rapport unique est alors produit par les étudiants de deux institutions.

Nous essayons également de faire en sorte que la mobilité puisse s’effectuer dans les deux sens, c’est à dire, Nord sud et sud Nord, lorsque le besoin de la recherche s’impose.

Je pense personnellement que c’est un modèle intéressant dont on peut s’inspirer dans les nouvelles approches de coopération.

Jean Paul Katond Mbay

professeur au département d’électromécanique de l’école Polytechnique de l’Université de Lubumbashi (UNILU)

Mon nom est Jean Paul Katond Mbay, je suis professeur au département d’électromécanique de l’école Polytechnique de l’Université de Lubumbashi (UNILU). Lubumbashi est ville minière et la deuxième plus grande ville de la RD Congo.

Je suis détenteur d’un diplôme d’ingénieur civil électromécanicien de l’Université de Lubumbashi ainsi qu’un doctorat en science de l’ingénieur de l’université Libre de Bruxelles en Belgique obtenu en 2013. Je suis également consultant dans le domaine de l’énergie.

J’ai effectué des nombreux voyages dans le cadre de ma formation en Asie, en Afrique et en Europe qui ont énormément contribué á accroitre ma soif de connaitre, d’échanger avec les autres cultures. J’ai participé et continue à travailler dans des projets de coopération bilatéraux et multilatéraux.

Photo d’ouverture : © Photo de Kirill sur Unsplash

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