Le vocable partenariat est omniprésent au sein de la coopération internationale. À l’échelon local tout d’abord, celui de l’arène du projet de développement, où il s’agit notamment d’identifier les besoins, de formuler et d’implémenter des projets entre partenaires Nord et Sud. Le partenariat est également largement convoqué à l’échelon international où l’on parle de “partenariat global pour le développement”, aujourd’hui durable (OMD8 hier et ODD 17 depuis 2015), et où l’on troque l’expression bailleurs de fonds par “partenaires techniques et financiers”, notamment.
Prof. Gautier Pirotte, Faculté des Sciences Sociales – Laboratoire des Sociétés Civiles / Université de Liège
Omniprésent partenariat
Le partenariat apparaît depuis plusieurs décennies comme un élément central de la coopération internationale au point qu’on puisse se demander si cette notion de partenariat ne constitue pas l’incarnation idéale de la relation de coopération et la clé qui ouvre la voie au succès à toute entreprise de développement. Cette omniprésence positive du partenariat fait apparaître celui-ci comme l’un des buzzword les plus importants de la coopération internationale actuelle, à l’instar des notions de participation, d’appropriation ou encore d’empowerment, qui participent à l’élaboration d’un cadre idéel d’une coopération idéale qui est venu se substituer à l’effondrement des grandes théories explicatives du développement depuis la fin des années 80. Ce faisant, le partenariat, comme tout buzzword, permet de rassembler sous une vision positive, mais floue, un ensemble d’acteurs éloignés sous de multiples aspects qu’ils soient géographiques, culturels, politiques, sociaux ou économiques.
Alors, que retrouve-t-on comme éléments idéels au cœur du partenariat ? Les tentatives de définition de la notion de partenariat sont multiples, mais présentent des similitudes. Prenons l’exemple de cette définition du partenariat de Jean Panet-Raymond et Denis Bourque qui, en 1991, ont analysé la collaboration entre établissements publics et organismes communautaires œuvrant auprès des personnes âgées à domicile, au Québec. Ils décrivent le partenariat comme “un rapport complémentaire et équitable entre deux parties différentes par leur nature, leurs missions, leurs activités, leurs ressources et leur mode de fonctionnement, fondé sur un respect et une reconnaissance mutuelle des contributions et des parties impliquées dans un rapport d’interdépendance. (…). L’objet du partenariat peut être la création commune d’un projet ou d’une ressource”[1]. Cette définition tirée d’un contexte bien éloigné, a priori, d’Addis Abeba ou de Dakar parlera très certainement aux acteurs de la coopération tant elle met en avant des notions importantes de la relation partenariale telle qu’évoquée dans l’industrie de l’aide : l’égalité entre partenaires ; la différence multiforme de contexte et de « nature » entre partenaires ; le respect entre acteurs et/ou la notion de confiance ; l’interdépendance plutôt que la compétition, voire la relation de pouvoir inhérente au partenariat ; la finalité du partenariat autour d’une situation jugée problématique et la création et cogestion d’un projet commun.
Notons au passage qu’à l’instar de la notion de gouvernance, par exemple, la définition du partenariat présente une tendance plus ou moins explicite à la normativité. Définir le partenariat, c’est définir par la même occasion ce qu’est un bon partenariat : égalitaire, respectueux des différences, construit autour de valeurs ou d’objectifs partagés, par exemple. Recourir dès lors à la notion de partenariat, c’est attribuer un cadre normatif positif à la relation entre acteurs d’un projet ou programme de développement. Ce faisant, l’étude scientifique des relations partenariales implique de déconstruire préalablement ce cadre normatif afin d’aller au-delà de l’idéologie partenariale et étudier la relation qui se noue entre acteurs à la faveur du projet d’aide.
Indispensable partenariat
L’omniprésence du partenariat dans l’industrie de l’aide, aujourd’hui, rend cette notion de partenariat indispensable à tout acteur. Cela s’observe plus particulièrement sous trois aspects.
En ce qui concerne les idées, la notion de partenariat est un marqueur de séparation entre l’approche paternaliste de l’ère coloniale et de la mise en place de l’industrie de l’aide internationale, où il s’agissait à l’époque d’encadrer les populations bénéficiaires pour les éduquer, les arracher à leurs traditions pour les amener à la modernité. Désormais, la norme égalitariste que sous-tend le partenariat à l’ère postcoloniale proclame un rapport plus horizontal, moins vertical entre « aidants » et « aidés ».
Le partenariat est un élément déterminant des identités des acteurs en présence dans la chaîne du développement, qui va de Genève, Paris ou New York au village du Nord Borgou au Bénin. Les maillons de cette chaîne connectant les partenaires se multiplient au point qu’ils n’en viennent pas seulement à définir la nature des relations entre acteurs, mais les acteurs eux-mêmes. Peut-on se prétendre ONG du Nord comme du Sud par exemple sans nouer le moindre partenariat avec un alter-ego censé se mobiliser autour d’un objectif commun ?
Sur un plan plus stratégique si le partenariat est si présent ce n’est pas uniquement parce qu’il permet de s’éloigner du spectre néocolonial, mais aussi et peut être surtout parce qu’il doit permettre de rencontrer les exigences d’une coopération efficace, efficiente, pertinente et durable. Du point de vue de l’organisation non-gouvernementale au Nord par exemple, le bon partenaire n’est pas uniquement celui qui permet de s’éloigner d’une critique paternaliste dans les démarches de développement, c’est aussi celui qui va favoriser l’atteinte des objectifs, réduire le coût de l’intervention et permettre un effet plus durable dans l’atteinte des résultats escomptés, notamment.
Le partenariat est donc indispensable pour s’éviter les foudres d’une critique jamais très éloignée du néo-colonialisme, où l’aidant ne fait pas avec, mais pour l’aidé, sans vraiment tenir compte de lui. Il est également indispensable en termes d’efficacité de l’aide, pour atteindre les objectifs que ce développeur se fixe désormais avec son partenaire. Bref, le partenariat, c’est faire avec, forcément.
La notion de partenariat est un marqueur de séparation entre l’approche paternaliste de l’ère coloniale et de la mise en place de l’industrie de l’aide internationale, où il s’agissait à l’époque d’encadrer les populations bénéficiaires pour les éduquer, les arracher à leurs traditions pour les amener à la modernité.
Indépassable partenariat
Si les politiques de modernisation des premières décennies de développement mettaient l’accent sur l’implication des États dans le cadre de macro-projets de modernisation (pas toujours bien adaptés d’ailleurs), l’approche partenariale va s’épanouir progressivement dans le cadre des projets et de programmes soutenus par les ONG du Nord, dès les années 70, en réaction à ces macro-projets. Les années 80 et 90, dans un climat socio-économique qui met l’accent sur la dérégulation des marchés et la critique ouverte du rôle de l’État comme agent de modernisation, voient l’émergence et la prolifération des organisations de la société civile au Sud ainsi que la mise en place de stratégies de professionnalisation de ces mêmes OSC, visant à faire d’elles des partenaires fiables et solides dans le cadre de l’acheminement de l’aide. Le tournant du millénaire acte cet état de fait en consacrant le rôle de ces partenaires du Sud dans le nouveau paradigme de la lutte contre la pauvreté amorcée par les Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté de la Banque Mondiale en 1999, puis les 8 OMD des Nations Unies en 2000. Ce rôle s’inscrit pleinement dans un jeu triangulaire de co-gouvernance du développement au Sud, s’articulant entre l’État, les OSC et les bailleurs de fonds, rebaptisés « Partenaires Techniques et Financiers ».
Cette montée en puissance de la notion de « partenariat » se produit au moment où monte également en puissance une nouvelle logique managériale dans le champ de la coopération, comme au sein de bien d’autres acteurs publics, privés ou associatifs, que d’aucuns ne qualifieront de néolibérale. En apparence, la logique partenariale qui met l’accent sur le collectif, la mise en commun, l’interdépendance et l’égalité semble éloignée de la logique néo-libérale qui met l’accent sur l’individu et la responsabilité individuelle ou sur la compétition. En même temps, cette approche partenariale est sans doute aussi un allié objectif du néo-libéralisme pour deux raisons. D’une part, le partenariat est perçu comme un outil de gestion de la relation entre acteurs de développement favorisant une plus grande efficacité de l’aide. C’est donc un outil au service de cette nouvelle approche managériale, centrée sur la rentabilité, le retour sur investissement, une gestion rationnelle des interventions… D’autre part, le partenariat participe d’une certaine manière à la dépolitisation du champ de la coopération internationale en édulcorant, voire en évacuant potentiellement par sa promesse égalitariste les rapports de domination et donc les inégalités au sein de l’industrie de l’aide internationale.
Encombrant partenariat
Le partenariat est aussi un objet encombrant de la coopération internationale. Dans le dictionnaire des idées reçues de l’aide au développement publié par Christophe Courtin en 2016, on peut lire à l’entrée « partenariat » : « Relation contractuelle équilibrée et respectueuse de l’autre ou quand les mots cachent des relations de domination. Dans un partenariat, il y en a toujours un des deux qui mène la danse »[2]. Cet ouvrage propose une critique grinçante, voire satyrique de l’aide au développement et cette définition souligne ce qui s’apparente le plus souvent à un non-dit au sein de l’industrie de l’aide. L’approche partenariale permet certes de s’émanciper du paternalisme hérité de l’ère coloniale, mais bien souvent au prix d’une évacuation spectaculaire et pour tout dire artificielle des enjeux de pouvoir et de domination présents dans toute relation humaine.
Comme mentionné plus tôt, l’insistance sur le partenariat repose sur un implicite normatif qui impose la mise en place de relations horizontales et respectueuses entre acteurs différents mais égaux. Dans l’aide internationale, qui est comme tout champ social un champ où les ressources sont réparties de manière très inégalitaire, l’approche partenariale suppose une promesse de mise en place d’une relation tendant vers l’égalité entre acteurs Nord/Sud, dont on sait pertinemment qu’ils ne disposent pas des mêmes moyens, des mêmes capitaux économiques, mais aussi sociaux et culturels. Ainsi, le partenariat peut apparaître comme encombrant en raison de cette promesse de relations égalitaires bien difficile à mettre en place. D’autant plus encombrant qu’il est aussi considéré dans la coopération professionnalisée comme un outil au service de l’efficacité de l’aide. Le Partenariat ? On doit faire avec, car on n’a pas le choix.
Éviter les partenariats Potemkine[3]
Indispensable, indépassable mais aussi encombrante, la notion de partenariat présente un triple enjeu.
Tout d’abord réside un enjeu pour les acteurs de la coopération, bien entendu, car le partenariat est désormais une règle du jeu essentielle de la coopération internationale. Mais au-delà de ce cadre normatif, le partenariat rend-il les projets plus efficaces, plus efficients, plus pertinents et durables pour autant ? Au-delà des poncifs qui croient qu’il y a toujours plus dans plusieurs têtes que dans une seule ou qu’on va plus vite en allant seul, mais qu’à plusieurs on va plus loin, que coûte cet idéal de partenariat aux partenaires en termes de temps, d’énergie, d’argent ?
Le partenariat, c’est aussi un enjeu scientifique pour les sociologues et anthropologues du développement. L’approche partenariale pointe du doigt ce qu’elle cherche à dissimuler : l’importance des relations humaines dans la coopération internationale. Un projet de développement, c’est une société en mouvement. Et dans toute société s’observe des rapports de domination. Comment concilier cette promesse égalitariste avec ces rapports de domination ? Dans cette perspective, chaque projet apparaît dès lors comme un espace de renégociation, entre acteurs de l’arène du développement, de cette promesse égalitariste avec les enjeux de pouvoir inhérent à toute relation humaine.
Enfin, il y a un enjeu éthique au sens générique d’un faisceau de principes moraux qui sont à la base de nos conduites sociales. De ce point de vue, l’avènement de l’approche partenariale apparaît comme un progrès par rapport à l’approche paternaliste de l’ère coloniale. Mais c’est insuffisant.
L’approche partenariale présente également quelques points fragiles qui peuvent conduire à un partenariat Potemkine. Tout d’abord, la recherche d’efficacité dans le monde de la coopération internationale représente un risque important d’une tendance vers l’instrumentalisation de la relation partenariale. Aidants et aidés font alors « comme si on était partenaires », alors que l’un des deux prend la charge du projet sur les épaules afin d’être plus rapide et efficace. Ensuite, la promesse égalitariste inhérente à l’approche partenariale est bien souvent difficile à tenir de bout en bout d’un projet en raison d’une distribution déséquilibrée des ressources. L’aidant peut alors signifier à l’aidé : « J’ai beau vouloir te traiter sur un pied d’égalité, c’est difficile pour moi parce que nous ne disposons pas des mêmes ressources ». Enfin, les rapports de domination apparaissent comme une menace constante dans la relation partenariale s’ils ne sont pas pris en compte. Cela reviendrait à aborder l’égalitarisme du partenariat, non comme une promesse, mais naïvement comme un état de fait. On soutient alors un partenariat en trompe l’œil, car personne ne sera dupe très longtemps et la frustration sera vite au rendez-vous. On se retrouve donc condamné à ne pas négliger l’existence de relations de domination au sein de l’approche partenariale, autrement dit, à intégrer la promesse égalitariste et les rapports de domination dans la mise en place de projet d’aide afin d’éviter la mise en place d’un partenariat Potemkine.
[1] Panet-Raymond, J. et D. Bourque (1991). Partenariat ou pater-nariat ? La collaboration entre établissements publics et organismes communautaires œuvrant auprès des personnes âgées à domicile, Québec, Conseil québécois de la recherche sociale, p. 64.
[2] Courtin C. (2016), Dictionnaire des idées reçues de l’aide au développement, Paris, Golias.
[3] « Potemkine » fait ici référence à l’expression « village Potemkine » pour parler d’un procédé en trompe l’œil dans un souci de propagande.
Gautier Pirotte
Professeur de Sociologie du développement à l’Université de Liège
Ses publications et recherches portent principalement sur la coopération internationale (acteurs et cadres théoriques) et sur les organisations de la société civile dans divers pays (Afrique subsaharienne, Roumanie, Belgique…). Il est membre du laboratoire OMER (Observer les Mondes en Recomposition) et créateur de l’Observatoire des Sociétés Civiles.
Photo d’ouverture : © Photographe inconnu·e