En septembre 2022, depuis quelques mois, un courant de remise en question de la coopération au développement prend de l’importance. En effet, la thématique de la décolonisation de l’aide fait l’objet de nombreux échanges, d’études et de publications au sein du secteur. Comme on le verra plus loin, ce type de questionnement ne date pas d’hier mais il prend cette fois une véritable dimension existentielle.

Olivier Genard, responsable de l’Unité d’Appui aux Programmes de l’ONG Iles de Paix.

Partie 1 : le temps de la remise en question

Au sein du secteur de la coopération au développement, des questionnements ont toujours existé quant à son sens et quant à son efficacité. Dans les années 70 et 80 de nombreux projets de coopération aux allures pharaoniques furent qualifiés d’éléphants blancs du fait de l’absence totale de résultats concrets sur le terrain et de nombreux détournements de fonds. La société civile belge et en particulier les ONG furent les premières à dénoncer cette situation, prônant la mise en œuvre de projets de plus petite taille, identifiés et portés par les populations concernées.

Du mouvement “Black lives Matter” à la décolonisation de l’aide

En mai 2020, suite à la mort de George Floyd, un Afro-américain asphyxié par un policier blanc à Minneapolis, les manifestations portées par le mouvement “Black Lives Matter” ont obtenu une grande visibilité médiatique. Le mouvement a alors donné lieu à de nombreuses répliques partout dans le monde. Au-delà des violences policières racisées dénoncées par le mouvement, c’est le racisme systémique qui subsiste dans nos sociétés qui est mis en évidence. En Belgique également, de nombreux représentants de la société civile se saisissent de cette opportunité pour dénoncer le racisme omniprésent ainsi que les réminiscences de notre passé colonial dans la vie de tous les jours.

Dans le sillage du mouvement “Black Lives Matter”, des groupes de militants contre les discriminations et violences racistes s’en prennent à diverses statues représentant des personnes qu’elles considèrent être liées à l’esclavage, la colonisation ou le racisme. Le 9 juin 2020, la dégradation d’une statue de Léopold II située dans le parc de l’Africa Museum à Bruxelles fait grand bruit. La sculpture a été recouverte de peinture rouge et son socle de l’inscription “BLM II”. Cet acte lance alors en Belgique un débat sur la décolonisation de l’espace public. En juillet 2020, le parlement fédéral décide la mise en place d’une commission parlementaire spéciale sur le passé colonial. Après une année de travaux, il en résultera un premier rapport abordant différents aspects de l’histoire coloniale belge dans ses dimensions historiques mais aussi dans la représentation contemporaine des personnes d’origine africaine. Les constats de ce rapport sont sévères et mettent en évidence que les stigmates du colonialisme sont encore très présents dans notre société. Il n’en faudra pas plus pour qu’au sein du secteur de la coopération au développement, une série de questionnements latents refassent surface et qu’une réflexion sur la “décolonisation de l’aide” apparaisse incontournable.

Un secteur en questionnement permanent

Au sein du secteur de la coopération au développement, des questionnements ont toujours existé quant à son sens et quant à son efficacité. Dans les années 70 et 80 de nombreux projets de coopération aux allures pharaoniques furent qualifiés d’éléphants blancs du fait de l’absence totale de résultats concrets sur le terrain et de nombreux détournements de fonds. La société civile belge et en particulier les ONG furent les premières à dénoncer cette situation, prônant la mise en œuvre de projets de plus petite taille, identifiés et portés par les populations concernées.

Il n’en reste pas moins que dans l’imaginaire collectif, s’appuyant sur la théorie du rattrapage largement diffusée après la seconde guerre mondiale, les populations des pays dits “sous-développés” n’accèderaient à de meilleures conditions de vie qu’en adoptant le modèle de développement économique occidental. Si le secteur de la coopération a été un temps porteur de ce modèle de même que celui du tiers-mondisme, il a aussi su s’approprier des questionnements émanant du monde universitaire et de praticiens du développement, notamment sur la vision endogène du développement. Même si elle n’est pas encore adoptée de façon systématique dans le secteur de la coopération, à la fin des années 90, l’importance de l’approche participative ne fait plus débat.

Dans les années qui suivent, c’est principalement l’efficacité de l’aide qui est questionnée au sein du secteur. La déclaration de Paris formulée en 2005 lors du deuxième forum sur l’efficacité de l’aide identifie cinq principes qui devront désormais régir la coopération internationale dont notamment celui de l’appropriation et celui de l’alignement. Les organisations de la société civile ne se satisfont cependant pas de ces accords, qui de leur point de vue négligent de nombreuses dimensions du développement. C’est ainsi qu’au terme d’une Assemblée Mondiale qui a lieu en Turquie en 2010, les organisations de la société civile publient les principes d’Istanbul pour l’efficacité du développement qui mettent notamment en avant les partenariats équitables et solidaires, l’apprentissage mutuel, l’engagement pour un changement positif durable, le respect et la promotion des droits humains, l’égalité et l’équité des genres, l’autonomisation des personnes, la participation démocratique, la durabilité environnementale, la pratique de la transparence et de la responsabilité.

Finalement, en Belgique, plusieurs cycles de réflexion importants ont été portés par les ONG ces dernières années sur leur rôle futur. A quoi devrait désormais ressembler la coopération internationale et comment s’y adapter ? Dans une note publiée en 2014[1], on relève notamment que « la coopération traditionnelle n’est plus adaptée à notre époque. Un nouvel agenda pour la coopération internationale du 21e siècle cherche des réponses aux défis systémiques flagrants qui nous touchent tous comme l’inégalité croissante, la raréfaction des ressources et le changement climatique. […] Mais en tant qu’ONG internationale, si nous voulons devenir un acteur efficient et légitime de changement social à l’intérieur de ce nouveau récit, nous devons être prêts à entamer un processus de transformation de nos modes de pensée et d’action ».

Décoloniser l’aide, un questionnement de nature existentielle

Comme on vient de le voir, au travers de questionnements permanents, les acteurs de la coopération ont, au fil des années, cherché à améliorer la pertinence, l’efficacité, l’efficience et la durabilité de l’aide. La thématique de la décolonisation de l’aide qui se cristallise aujourd’hui pose toutefois au secteur des questionnements de nature plus existentielle.

Dans sa récente publication “décoloniser l’aide”, l’ONG Peace Direct relève diverses pratiques et attitudes persistantes dans le système d’aide qui dérivent de l’époque coloniale : « Les flux d’aide entre les anciennes puissances coloniales et les anciennes régions colonisées reflètent souvent leurs relations coloniales passées. Une partie du langage utilisé dans le système d’aide renforce les perceptions discriminatoires et racistes des populations non blanches. L’expression « Renforcement des capacités » a été citée comme un exemple suggérant que les communautés et organisations locales manquent de compétences, tandis que d’autres termes, tels que « expert sur le terrain », perpétuent les images du Sud global comme “non civilisé”. La conception des programmes et de la recherche est ancrée dans les valeurs et les systèmes de connaissances occidentaux, ce qui signifie que de nombreux programmes créent par inadvertance une norme basée sur l’Occident que les communautés du Sud global sont tenues de respecter. Les connaissances locales sont, par défaut, dévalorisées ». Partant d’une analyse similaire, la fédération des ONG néerlandophone écrit dans son guide pratique “La décolonisation c’est maintenant”, que la décolonisation de l’aide qui doit favoriser l’égalité et redistribuer le pouvoir au sein du secteur implique de « réfléchir à notre propre histoire, à notre position dans la structure de pouvoir dominante ». Aussi, pour renforcer encore leur lutte en faveur d’un monde plus équitable et durable, [les ONG] devraient oser balayer devant leur porte et remettre en question leurs modes d’action et de communication.

Certains chercheurs et intellectuels vont cependant plus loin. Ainsi, dans la revue IMAGINE de mars 2022, l’économiste et philosophe Sénégalais Felwine Sarr en s’appuyant sur les travaux de la politologue camerounaise Nadine Machikou et de l’économiste tanzanienne Dambisa Moyo, considère que « la principale modalité de relation du continent africain avec le reste du monde se fait sous le mode dominant de la compassion. On est dans un rapport où l’on vous veut du bien, mais ce faisant on vous dépossède de votre initiative. Fondamentalement, l’aide vous enferme dans une position de subalternité de laquelle vous ne sortez pas. Le temps de l’aide, c’est le temps que vous ne mettez pas à construire votre autonomie, vos compétences, vos capacités. Et quand l’aide se retire, vous vous retrouvez dans l’état antérieur, parce que vous n’avez pas construit les capacités qui vous auraient permis de sortir de la dépendance ». Sur ces considérations, il rejoint la politologue belgo-rwandaise Olivia Rutazibwa qui plaide pour l’abolition pure et simple de la coopération au développement.

Se projeter dans la coopération du 21e siècle

Pour s’adapter aux réalités du 21e siècle, il est évident que la coopération doit évoluer (ou disparaitre) et que les acteurs qui la portent doivent se remettre en question. La thématique de la décolonisation de l’aide ouvre sans aucun doute un nouveau champ de réflexion en la matière. Il convient toutefois d’aborder ces questions de façon décomplexée.

Une introspection sérieuse doit rester équilibrée, sans diabolisation ni angélisme. Le même regard critique doit se porter sur l’ensemble des acteurs de la coopération, “aidants” et “aidés”. Le débat ne doit pas occulter la qualité et les impacts du travail réalisé par les ONG belges en collaboration avec leurs partenaires locaux. Sans doute aussi sa nécessité pour soutenir la société civile dans les pays où persistent des régimes qui privent les populations de certains de leurs droits élémentaires.

Il s’agit aussi, et surtout de rappeler que le vrai problème du développement se situe sans aucun doute ailleurs que dans le champ de la coopération. En effet, ce qui continue aujourd’hui à asservir les peuples se trouve plutôt dans le champ des nombreux rapports de force, politiques, économiques, culturels, qui permettent à une minorité de s’accaparer des richesses du monde et de (re)coloniser les esprits (par exemple, en imposant le modèle de l’agriculture industrielle comme solution universelle au problème de la faim). C’est avant tout à ce niveau qu’il convient de faire changer les choses et, pour cela, les ONG et organisations de la société civile gardent toute leur pertinence.

[1] ACODEV et NGO-Federatie – Comment les ONG peuvent-elles devenir des acteurs de changement social à part entière dans la coopération internationale du 21e siècle ?

Sources

ACODEV et NGO Federatie, 2020 – Comment les ONG peuvent-elles devenir des acteurs de changement social à part entière dans la coopération internationale du 21e siècle ?

Peace Direct, 2021 – Décolonisation de l’aide et consolidation de la Paix

Be Pax, 2021 – Décoloniser les imaginaires. Le cas des ONG en Belgique

NGO Federatie, 2021 – La décolonisation c’est maintenant

INTRAC, 2022 – Transférer le pouvoir dans la Pratique

ARES – VLIR, 2022 – Imaginer les futurs alternatifs de la coopération belge au développement

Partie 2 : vers un futur alternatif

À divers niveaux, les ONG ont apporté une contribution substantielle dans le combat contre la pauvreté et l’injustice ou dans la structuration d’une société civile à l’international. Néanmoins, pour s’adapter aux réalités du 21e siècle, il apparait que la coopération doit opérer de nouvelles mutations profondes et que les acteurs qui la portent doivent se remettre en question. Mais quels pourraient être les futurs alternatifs de la coopération au développement ? C’est ce que nous allons essayer de voir ci-après.

Les nouveaux challenges du secteur de la coopération internationale

Décoloniser l’aide

Décoloniser l’aide apparait aujourd’hui comme un défi quasi existentiel du secteur de la coopération internationale. En effet, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le fonctionnement actuel de la coopération qui reste teinté de paternalisme et qui ne permet pas aux communautés concernées de choisir librement leur chemin de développement. Diverses études réalisées récemment au sein du secteur mettent notamment en avant les éléments suivants :

  • La participation limitée des Organisations de la Société Civile africaines (OSC) à la prise de décisions stratégiques et financières sur les projets financés par les ONG Internationales (ONGI) signifie que les décisions sur les thèmes, les zones et la durée des interventions restent majoritairement déterminées par les agendas de ces ONGI, et cela se produit parfois sans tenir compte des valeurs locales. Pour renverser cet état de fait, les OSC africaines demandent à être mieux impliquées dans la prise de décision, afin de pouvoir réellement baser les interventions sur les priorités et les valeurs locales et assurer la pertinence et l’efficacité des interventions.
  • Les politiques et les procédures sont généralement importées et imposées aux OSC africaines qui les trouvent souvent difficiles à comprendre et qui ont du mal à s’y adapter. Pire encore, ces documents sont souvent rédigés dans des langues différentes de celles des OSC africaines et leur traduction peut poser problème. Les partenaires demandent que les approches de gestion de projet et de partenariat soient mises en place de manière plus consensuelle.
  • Un manque de transparence dans le chef des ONGI partenaires sur la gestion financière a été décrié quand les informations sur l’utilisation des fonds des bailleurs ne sont pas partagées avec leurs OSC partenaires – un sujet encore tabou à ce jour. Les OSC partenaires suggèrent qu’elles soient associées aux décisions liées à la répartition des ressources financières.
  • Un sentiment de supériorité du Nord, des préjugés et des stéréotypes dénigrants, caractérisés par « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit », fait sentir aux OSC africaines que leurs droits ne sont pas respectés et qu’ils sont réduits au rang d’exécutants, de bénéficiaires et d’assistés. Sur ce point, les OSC partenaires recommandent de revoir le langage des projets et des partenariats.

Sortir de la dichotomie Nord – Sud

La plupart des ONG belges sont issues de mouvements de solidarité des années 60 et 70. Leur mission était claire : sortir les populations des pays du “Sud” de la pauvreté en leur transférant notre modèle de développement. Pour ces ONG, le terrain des “projets” reste encore en Afrique, en Asie et en Amérique Latine. En Belgique, leur action se cantonne essentiellement au plaidoyer et à l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire. Cependant, le monde dans lequel le secteur de coopération s’est construit a fortement changé :

  • D’une part, des changements profonds se sont produits sur les plans géopolitiques, économiques et sociaux. Dans de nombreux pays du “Sud”, une classe moyenne a progressivement émergé dans les grandes villes grâce à des taux de croissance élevés. Mais dans ces économies à deux vitesses une part significative de la population est restée à la marge, révélant des niveaux d’inégalités extrêmes. Pendant ce temps, en Belgique, suivant l’étude EU-SILC de 2018 le nombre de personnes en situation de précarité est toujours plus élevé. En 2017 le risque de pauvreté a atteint 16,4 %. Il s’agit du niveau le plus élevé jamais mesuré et cela ne va évidemment pas s’arranger avec la crise énergétique exacerbée par la guerre en Ukraine. Ainsi, la pauvreté change de visage : comme le démontre la courbe de l’éléphant de Branko Milanovic, les inégalités se creusent partout dans le monde, y compris dans notre propre société.
  • D’autre part, nous sommes aujourd’hui confrontés à un ensemble de problèmes qui doivent urgemment être abordés au niveau mondial. En effet, si l’on se réfère au modèle des limites planétaires, six des neuf seuils de maintien de l’équilibre de notre biosphère sont déjà dépassés. Le changement climatique est évidemment la résultante la plus connue du dépassement de l’une de ces limites planétaires (en l’occurrence, la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre). Mais il faut également compter avec la perte de biodiversité, la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore, le changement d’affectation des terres, la pollution par les métaux lourds, les composés organiques synthétiques et les composés radioactifs ainsi que la diminution de la disponibilité d’eau douce. Comme pour la question des inégalités évoquée plus haut, il est évident que ces problèmes de développement concernent toute l’humanité. Ainsi, mitiger de façon durable les conséquences du changement climatique sur l’agriculture en Afrique implique non seulement d’y adapter les pratiques culturales mais aussi, et même surtout, de limiter de façon drastique et urgente les émissions de gaz à effet de serre partout sur la planète.
  • Enfin, le concept même très occidental du “développement” est également à remettre en cause. En effet, des décennies de développement se sont focalisées sur le transfert vers le “Sud” du modèle de développement du “Nord” considéré comme “le” modèle universel. Malheureusement, aujourd’hui on ne peut que constater les limites de ce modèle qui est à l’origine d’inégalités croissantes partout sur la planète, de la persistance de la faim dans le monde et du dépassement des limites planétaires. Le développement est donc à réinventer, probablement en s’inspirant des pratiques de solidarité et du “faire société” toujours vivantes au “Nord” comme au “Sud”. Il est donc temps d’inventer des solidarités interculturelles nouvelles !

Comme on le voit, en matière de développement, il n’y a désormais plus de “Nord”, ni de “Sud” et, par conséquent, il est indispensable pour les ONG de sortir de cette dichotomie si elles veulent être à la hauteur des défis du 21e> siècle. Pour être pertinent et crédible, leur discours doit désormais porter sur les enjeux globaux du développement.

Vers un futur alternatif

Constater les nouveaux challenges auxquels le secteur de la coopération est confronté n’est pas une chose simple ; fournir les contours d’un futur alternatif l’est encore moins. En particulier, dans le contexte de crise que nous traversons aujourd’hui, la marge de manœuvre dont nous pouvons disposer pour opérer de nécessaires transformations risque d’être très limitée. Nous allons néanmoins essayer d’identifier quelques évolutions désirables pour les ONGI et les Organisations de la Société Civile Locale.

Des mécanismes “Programme” à la portée des populations concernées

Tous les partenaires de la coopération sont unanimes pour dire qu’en se professionnalisant, le secteur s’est malheureusement bureaucratisé à outrance. En se rendant très dépendants de bailleurs de fond institutionnels, les ONG de solidarité internationale se sont retrouvées dans un étau, à devoir appliquer des dispositifs et contraintes qui leur sont imposés, réduisant la marge de manœuvre des partenaires (et également à soutenir implicitement des jeux d’influence géostratégiques internationaux qui les dépassent). Cette situation a pour conséquence de verrouiller le système et maintenir les populations directement concernées dans une position subalterne de “bénéficiaire”. De ce fait, nombre de programmes ne correspondent ni à leur vision du développement, ni à leurs aspirations, ni à leur agenda. Aussi, pour améliorer la pertinence, l’efficacité et l’impact des programmes de développement, il est souhaitable que la Direction Générale du Développement revoie ses mécanismes d’octroi de subventions de façon à y accorder une plus large place aux populations et organisations de la société civile des pays partenaires. Par ailleurs, il est nécessaire que les ONG améliorent leurs pratiques de dialogue, de transparence et de suivi des programmes. Ces évolutions au niveau de l’administration et des ONG pourraient notamment se traduire comme suit :

  • une information complète et transparente des partenaires sur le cadre réglementaire et administratif auxquelles les ONG belges sont soumises ;
  • dans le cadre de la formulation des programmes, un focus sur les résultats et impacts attendus par les populations actrices du développement plutôt que sur des analyses externes désincarnées de la pertinence, de l’efficacité, de l’efficience du programme et des risques associés ;
  • dans le cadre de la mise en œuvre du programme, un dialogue permanent permettant aux organisations locales d’ajuster les stratégies, méthodologies et activités cooptées dans un souci d’atteinte des résultats ;
  • dans le cadre des évaluations des programmes, des mécanismes privilégiant le retour d’apprentissages vers les organisations partenaires et populations concernées.

Un repositionnement stratégique et politique

Considérant l’évolution des organisations de la société civile dans les pays partenaires de la coopération, le temps est sans doute venu pour les ONGI de repenser leur rôle de terrain. Ceci implique notamment qu’en lieu et place de leur engagement de nature très opérationnelle, elles se réorientent progressivement vers de nouvelles formes d’action. On évoquera notamment l’appui conseil, le réseautage, la capitalisation, le partage d’expériences et la valorisation et diffusion de leçons apprises.

Par ailleurs, la poursuite de relations de collaborations entre les ONG belges et les OSC partenaires reste indispensable, notamment pour travailler conjointement sur les enjeux globaux évoqués plus haut ainsi que pour faire émerger des alliances pour défendre l’intérêt général, les générations futures, les populations marginalisées et l’environnement.

Ainsi, il est évident que les ONG sont désormais appelées à s’investir de façon de plus en plus intensive dans des actions de plaidoyer. Un travail d’incidence sur les politiques locales et internationales devient en effet incontournable pour inverser la tendance de dépassement des limites de la planète. Et dans ce sens, un travail en réseau est évidemment indispensable. C’est en effet en s’associant avec des organisations de la société civile qui, partout dans le monde, partagent les mêmes préoccupations, que les ONG seront en mesure d’influencer les opinions publiques et les gouvernements. Les ONG du futur devront donc être des organisations capables de s’associer avec leurs pairs pour décrypter les grands enjeux du développement mondial, formuler des positions communes et les défendre ensemble vis-à-vis de leurs gouvernements et dans les fora internationaux.

Il s’agit donc de changer les pratiques, les métiers mais pas de changer les missions. Car si le monde a changé, le besoin de justice, de respect des droits humains et des cultures humaines qui a vu naitre les ONG de “développement” reste cruellement nécessaire.

Un changement de perspective et ré-ancrage au sein de notre société

Pour être à la hauteur des défis du 21e siècle, les ONG devront également s’émanciper de leur discours du passé (aider les pauvres du Sud) et se repositionner sur les enjeux globaux évoqués plus haut. Certes, la lutte contre la pauvreté et la lutte contre la faim restent centrales (ces deux objectifs apparaissent d’ailleurs comme deux piliers des Objectifs du Développement Durable) mais il est aujourd’hui essentiel de les relier aux enjeux du changement climatique, de la perte de biodiversité, de la migration … et surtout d’envisager ces objectifs dans leurs dimensions locale et internationale ce qui implique un ré-ancrage de notre action dans notre propre société. En effet, si nous voulons nous attaquer à ces problèmes globaux de notre époque dans le cadre de la coopération internationale, disposer d’une expertise construite dans son propre pays devient indispensable pour pouvoir échanger en connaissance de cause.

Se résigner n’est pas une option

Nous avons vu plus haut que la coopération internationale est confrontée à de nouveaux challenges liés à l’évolution de la société et à l’apparition d’enjeux de développement globaux. Certains considèrent que le système de la coopération étant verrouillé de l’intérieur, il ne peut pas être changé et doit disparaitre. Mais condamner la coopération internationale se traduirait sans aucun doute par la disparition d’une part significative de la société civile dans les pays les plus fragiles où les gouvernements ne sont pas prompts à la financer. La disparition de la coopération ferait également le jeu des intérêts de la finance et des pouvoirs corrompus qui pourraient ainsi consolider leur impunité. Face à ces constats, nous pensons que se résigner n’est pas une option. Comme il l’a déjà fait de nombreuses fois, le secteur du développement en Belgique est capable de se remettre en question et d’envisager de nouvelles formes d’engagement. Certaines pistes telles que la mise en place de mécanismes “programme” à la portée des populations concernées, un repositionnement stratégique et politique, le changement de perspective et le ré-ancrage au sein de notre société ont été évoquées plus haut. Ce ne sont là que quelques idées qui montrent toutefois que relever ce défi reste à notre portée.

Olivier Genard – Septembre 2022

Cet article est initialement paru en deux parties sur le site d’Iles de Paix. Voici les liens d’origine :

https://www.ilesdepaix.org/nous-connaitre/actualites/la-cooperation-au-developpement-est-elle-encore-utile/
https://www.ilesdepaix.org/nous-connaitre/actualites/la-cooperation-au-developpement-est-elle-encore-utile-partie-2-vers-un-futur-alternatif/

Olivier Genard

Iles de Paix

Olivier Genard travaille depuis plus de 30 ans dans les secteurs du développement rural et de la sécurité alimentaire. Il a vécu une quinzaine d’année en Afrique et 6 ans en Amérique Latine. Il est aujourd’hui responsable de l’Unité d’Appui aux Programmes de l’ONG Iles de Paix. À ce titre il s’intéresse particulièrement aux évolutions du secteur de la coopération internationale.

Photo d’ouverture : Photo de Shane Rounce sur Unsplash

Pin It on Pinterest

Share This