Étudiants à la frontière franco-italienne

Depuis sa création en 1976, l’ONG de l’Université de Namur (Forum Universitaire de Coopération Internationale au Développement – FUCID) a régulièrement proposé des activités dans des pays du Sud, telles que des séjours d’immersion pour étudiants, professeurs et membres du personnel de l’Université ou des micro-projets de développement pour chercheurs ou professeurs. L’objectif de ces différentes activités étaient de sensibiliser la communauté universitaire, sur le terrain, à des problématiques sociales, environnementales, économiques ou politiques qui questionnent les relations Nord-Sud et dès lors, nos engagements en tant qu’acteurs des pays du Nord.

Ces dernières années la FUCID s’est toutefois largement désinvestie au Sud, optant pour un élargissement de ses activités Nord – son action au Sud se limitant actuellement à l’organisation de stages « solidaires » au Sud pour les étudiants de la faculté de droit. L’élargissement des activités au Nord a été motivé par la volonté d’inclure des acteurs multiculturels du Nord, principalement du namurois, dans ses réflexions et ses projets, dans un esprit d’Education à la Citoyenneté Mondiale et Solidaire, c’est-à-dire de sensibilisation d’un public Nord en vue d’un engagement au Nord pour une solidarité globale Nord-Sud.

Il nous parait maintenant opportun, et complémentaire avec nos activités ancrées au Nord, d’envisager un réinvestissement des activités au Sud et de retisser des liens avec des partenaires locaux afin de nourrir notre réflexion sur nos engagements au Nord. Et cette volonté nous amène à penser à nouveau frais le sens à donner à des échanges avec des partenaires Sud : pourquoi des voyages au Sud ? selon quelles modalités ?

Pourquoi des activités au Sud ?

La FUCID est une ONG travaillant principalement sur des programmes « Nord » – Éducation à la Citoyenneté Mondiale et Solidaire (ECMS) et Éducation permanente (EP) ; elle n’a pas vocation à s’investir dans des projets de développement au Sud. Sa mission principale, en tant qu’ONG universitaire de coopération internationale au développement, est de sensibiliser la communauté de l’université et des hautes écoles associées à des problématiques résultant, ou ayant un impact sur, les relations Nord-Sud, tout en entretenant un dialogue avec des partenaires du monde associatif namurois. Pourquoi dès lors envisager à nouveau des activités au Sud ?

Premièrement, le contact direct, c’est-à-dire sur le terrain, avec des contextes et des situations spécifiques au Sud ne peut que contribuer à développer les compétences et expertises de l’équipe de la FUCID quant à ses thèmes-phare, à savoir l’interculturalité, l’échange de savoir, l’engagement et le genre.

Deuxièmement, les séjours au Sud qui seront organisés pour le public universitaire et des hautes écoles – étudiants mais aussi membres du personnel [1] – auront pour finalité de sensibiliser étudiants, professeurs, chercheurs, membres du personnel aux rapports Nord-Sud tels que vécus au Sud et, dès lors, de réfléchir à leurs engagements au Nord. En outre, la rencontre avec des populations précarisées, des universitaires et des acteurs la société civile des pays du Sud que ces séjours permettront s’inscrit directement dans la mission de l’Éducation Permanente de faire rencontrer des publics variés et de renforcer les échanges de savoir.

Des chargés de projets préparent le voyage au Maroc – rencontre d’étudiants marocains

La FUCID

À travers ses analyses et études en éducation permanente, la FUCID ouvre un espace de réflexion collective entre les militant·es du monde associatif, les citoyen·nes du Nord et du Sud et des enseignant·es / chercheur·ses. En multipliant les regards et les angles d’approche sur les questions de société liées à la solidarité mondiale, la FUCID propose de renforcer, au sein de l’enseignement supérieur, la valorisation d’alternatives aux systèmes de pensée dominants.

[1] Notons que c’est en tant que citoyennes et citoyens que les membres de la communauté universitaire et des hautes écoles s’investissent dans les activités de la FUCID.

Enfin, les séjours qui seront proposés aux professeurs et chercheurs seront l’occasion pour ceux-ci de prendre connaissance de problématiques locales et de créer des partenariats en vue de formuler des projets qui pourront être financés par ailleurs. L’investissement des professeurs et chercheurs au Sud a immanquablement un effet, direct ou indirect, de sensibilisation de la communauté universitaire aux enjeux des relations Nord-Sud.

Au final, c’est bien le public-cible de la FUCID – communauté universitaire, mais aussi les divers partenaires du milieu associatif namurois – qui bénéficieront de ces échanges délocalisés. En ce sens, les voyages au Sud doivent être considérés non comme une fin en soi mais comme des moyens d’accomplir nos missions d’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire et d’éducation permanente, ici en Belgique.

Des voyages au Sud : est-ce bien responsable ?

Il est indéniable qu’il y a de très bonnes raisons de favoriser les voyages, séjours et recherches au Sud – nous venons d’en évoquer quelques-unes qui nous paraissent particulièrement importantes dans le cadre de notre travail. Il existe cependant autant de bonnes raisons de douter de la pertinence de séjours et voyages au Sud, et il en est une qui fait écho à un ensemble de mouvements militants très présents sur la scène médiatique et par rapport à laquelle il est impératif de pouvoir se positionner : la crise climatique et environnementale. Dans ce contexte, dans lequel les déplacements aériens sont plus que tout autre chose montrés du doigt, est-il bien responsable d’organiser des voyages dans le Sud dès lors qu’il existe d’autres leviers d’action pour remplir notre mission d’ONG universitaire ?

D’emblée, il s’agit de souligner à nouveau que les voyages au Sud ont un rôle important à jouer dans l’accomplissement de notre mission, au même titre que d’autres activités organisées sur notre campus et qui ne sont pas elles non plus neutres en émission carbone. Organiser des voyages au Sud est une part de la mission de la FUCID, et dès lors de sa responsabilité. Comment alors répondre à la question de l’urgence climatique ?

Tout d’abord, et de manière assez évidente, il s’agit de minimiser l’empreinte carbone. Dans la mesure du possible, c’est-à-dire sans que cela ne fasse obstacle à des partenariats que la FUCID jugerait particulièrement prometteurs, des destinations proches seront préférées. C’est ainsi que l’équipe de la FUCID a fait le choix du Maroc pour une première mission de reconnaissance (décembre 2019). De même les déplacements locaux doivent être considérés sous l’angle de l’éco-responsabilité.

Ensuite, et de manière plus importante, organiser, préparer et réaliser un voyage dans le Sud est l’occasion de faire un travail de réflexion sur nos responsabilités citoyennes par rapport aux enjeux climatiques, et ce dans le cadre de relations Nord-Sud. Comment comprendre cela ?

L’engagement : teinté de compromis, mais sans compromission

Organiser un voyage dans le Sud dans le cadre des activités d’une ONG de sensibilisation aux problématiques Nord-Sud doit être accompagné d’une réflexion critique sur les implications d’un déplacement et d’un séjour dans un pays du Sud : un tel accompagnement est bien la mission première de la FUCID.

Les implications d’un voyage sont multiples : rapports de pouvoir (socio-économique, géopolitique), rencontre de normes culturelles différentes, échanges de savoirs divers, réciprocité de l’immersion (Nord-Sud, Sud-Nord), etc. Nous nous limitons ici à la question climatique en essayant de dégager les arguments centraux qui doivent être soumis à la réflexion pour pouvoir s’engager avec responsabilité, c’est-à-dire en « répondant » de nos décisions.

Cette réflexion aura pour objectif de nous situer dans un espace de décision particulièrement complexe. Car, aussi militant que l’on soit pour la cause climatique, il faut pouvoir reconnaître l’impossibilité d’adopter une position idéale d’un impact « zéro » sur le climat. Toutes activités professionnelles, dont celles des ONG, ou toutes activités estudiantines et universitaires ont de manière plus ou moins directe un impact non négligeable sur le climat – ne suffit-il pas de considérer les sources de financement de ces activités pour réaliser combien nous sommes « impliqués » dans un mode sociétal responsable du changement climatique ?

Étudiante en stage solidaire au Bénin, 2018

Des chargés de projets préparent le voyage au Maroc, décembre 2019

La question climatique est avant tout une question de justice : envers les communautés les plus vulnérables de la planète et envers les générations futures. Les injustices en jeu sont des injustices structurelles, c’est-à-dire des injustices résultant de structures sociales, économiques et politiques complexes qui dépassent l’action d’individus autonomes et auxquelles toute citoyenne et tout citoyen « participent ». Immanquablement les actes des individus qui tentent de contribuer à la réduction de ces injustices sont empreints d’incohérence, qui les obligent, malgré eux, à faire des compromis : contestant les travers d’un modèle sociétal injuste, et cependant y contribuant.

Dans cette affaire, la question cruciale est de déterminer quels compromis nous sommes prêts à assumer sans que cela ne nous conduise à verser dans la compromission par rapport à nos idéaux. Et c’est bien là l’idée centrale que véhicule le concept d’engagement. S’engager, ce n’est pas seulement s’investir pour les valeurs que l’on tient pour importantes, c’est aussi assumer la faillibilité et l’incohérence de cet investissement : assumer les compromis qu’il implique sans trahir nos valeurs les plus fondamentales.

Plus concrètement, s’engager de manière responsable pour un voyage au Sud, c’est agir selon la valeur que l’on donne aux rencontres interculturelles sur le terrain (par exemple, pour les raisons qui ont été avancées plus haut), tout en assumant les effets que le déplacement aura sur notre empreinte environnementale. Pour assumer ces effets, il faut pouvoir les resituer dans le cadre complexe des injustices climatiques : les déplacements aériens ne sont qu’un maillon d’un réseau complexe d’activités humaines ayant un impact sur le climat et dont nous sommes – voyage ou pas – acteurs. En s’engageant à réinvestir ses contacts au Sud, l’équipe de la FUCID pense que les déplacements vers les pays du Sud constituent des compromis raisonnables pour accomplir avec responsabilité sa mission, et cela sans trahir ses valeurs, y inclus la valeur donnée à la lutte contre les injustices climatiques.

Inciter à la réflexion sur nos engagements citoyens dans un monde complexe de manière critique et éclairée est un rôle-clé que doit tenir la FUCID : l’expérience vécue du voyage donne une belle opportunité pour tenir une telle réflexion.

Étudiants à la frontière franco-italienne

Stéphane Leyens, Novembre 2019

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